Les microalgues organisent leur come-back
Les microalgues sont à nouveau au cœur de plusieurs projets deeptech, positionnés sur une grande variété de marchés.
Les microalgues étaient présentées il y a 10 ans comme le biocarburant du futur. L’effondrement des prix du pétrole et la multiplication des verrous technologiques ont fait s’écrouler en quelques années les espoirs placés dans cette nouvelle bioressource.
Après une traversée du désert, les microalgues sont à nouveau au cœur de plusieurs projets deeptech, positionnés sur une grande variété de marchés.
Riches en lipides, simples à cultiver et présentant des rendements supérieurs à la majorité des plantes terrestres, les microalgues étaient une solution miracle sur le papier. La baisse du prix du pétrole au début des années 2010 et l’accumulation de verrous technologiques pour les transformer en produit commercialisable ont pourtant fini par détourner un grand nombre d’acteurs.
« À l’époque, la culture des microalgues et les traitements en aval consommaient une telle quantité d’énergie que la production de biocarburants n’était pas économiquement viable », explique Olivier Rolland, directeur de Toulouse White Biotech, démonstrateur préindustriel dédié aux biotechnologies.
La recherche a toutefois continué d’explorer ce secteur tout au long des années 2010. La découverte de souches de microalgues et le développement d’outils d’exploitation ont progressivement ouvert de nouvelles perspectives économiques.
« Les entreprises travaillant dans le domaine des microalgues se sont alors positionnées sur d’autres sujets, plus faciles d’accès », indique Jeremy Pruvost, enseignant-chercheur à Nantes Université et directeur du laboratoire Gepea (Nantes Université/IMT Atlantique/Oniris/CNRS), et spécialiste de la valorisation industrielle des microalgues.
Nutrition & environnement
Le premier secteur sur lequel se sont positionnés ces acteurs industriels a été la nutrition.
Les microalgues ont trouvé un vrai marché sur le secteur des compléments alimentaires pour l’homme, ou dans la nutrition animale, comme l’aquaculture.
La startup Inalve, créée par un chercheur du CNRS en 2016 et lauréate du Concours mondial d’innovation, a ainsi développé un procédé de production de microalgues en biofilm, moins consommateur d’énergie. L’entreprise souhaite proposer une solution à la pénurie de ressources à venir en farines de poisson et protéines végétales.
La startup Fermentalg, créée par un chercheur de l’Ifremer en 2010, s’est elle aussi positionnée sur la nutrition, mais humaine, au tournant des années 2010 après avoir abandonné ses premières ambitions dans les biocarburants. L’entreprise commercialise depuis 2017 des huiles riches en oméga 3 à partir de microalgues, à destination de l’alimentation humaine.
Les microalgues ont aussi trouvé des débouchés dans le secteur de l’environnement.
Les microalgues répondent aujourd’hui aux enjeux actuels de transitions environnementales et énergétiques.
L’entreprise Fermentalg a ainsi développé une technologie de photo-bioréacteur industriel, pour capturer et convertir le CO2 avec des microalgues. Cette technique a donné naissance à une co-entreprise avec Suez. Fermentlag explore également l’utilisation de microalgues pour capter les polluants atmosphériques.
De son côté, AlgoSource, une des entreprises pionnières des microalgues en France et lauréate du concours I-Nov en 2018, multiplie ces dernières années les projets de recherche. Ayant participé à plusieurs initiatives majeures européennes, l’entreprise a mis au point un savoir-faire important qui lui permet aujourd’hui d’aborder la production industrielle de microalgues dans une logique de minimisation de l’impact environnemental.
Cela intègre des solutions allant de l’utilisation de microalgues pour traiter des effluents industriels, à la valorisation optimisée de tous les composés des microalgues dans une logique de bioraffinerie.
La santé, en attendant les biocarburants
Les entreprises des microalgues ont également commencé à explorer un nouveau marché : la santé.
« Il y a une dizaine d’années, le secteur des microalgues s’était heurté à un verrou majeur : l’édition du génome de ces micro-organismes, afin de les orienter vers la production de molécules d’intérêt. Il existait tellement de variétés de microalgues qu’il fallait développer des outils d’édition pour chacune », rappelle Olivier Rolland.
Aujourd’hui, l’invention et la démocratisation des techniques d’édition de génome, du type de Crispr Cas9, permettent d’envisager de nouvelles valorisations des microalgues.
Nous sommes désormais à la frontière avec le médicament.
AlgoSource a, par exemple, démarré une étude clinique avec le CHU de Nantes sur les propriétés antioxydantes de certaines microalgues.
« La chimiothérapie provoque des neuropathies périphériques chez les patients, qui touchent le système nerveux. Notre produit à base de microalgues pourrait limiter ces effets secondaires », souligne Olivier Lepine. Certaines start-up se présentent comme de véritables biotechs de la santé.
« C’est le cas, notamment, des jeunes pousses qui travaillaient déjà sur les cellules animales, comme les levures, très utilisées dans la pharma. Puis elles ont commencé à modifier génétiquement des cellules de microalgues pour la santé humaine, car c’était devenu moins cher, et les microalgues sont moins allergènes pour l’homme », précise Jeremy Pruvost.
C’est par exemple le cas d’AGS Therapeutics, spin-off de l’ENS Paris. La startup met en œuvre une technologie de production de vésicules extracellulaires de microalgues (MEV) capables de transporter des molécules bioactives pour des traitements.
L’intérêt d’employer ces vecteurs est qu’ils peuvent acheminer le médicament sur des endroits spécifiques du corps tout en le libérant de manière contrôlée. Plus en amont encore, le grand défi Biomédicament a retenu l’année dernière le projet PHAEOmAbs, porté par le laboratoire Glyco-MEV de l’université de Rouen, dont l’ambition est de créer des anticorps monoclonaux à base de microalgues.
Les développements dans ce secteur de la santé ne font que commencer, et plusieurs applications possibles sont encore au stade du laboratoire, comme l’extraction de molécules antivirales, ou actives dans la reconstruction osseuse.
Bien qu’aujourd’hui les microalgues aient trouvé leur usage dans plusieurs marchés, l’utilisation pour produire des biocarburants reste encore la ligne d’horizon de nombreux industriels. Si plusieurs verrous scientifiques ont été levés, la question de l’industrialisation des solutions demeure, et mobilise toujours plusieurs équipes de recherche de par le monde.
Nous avons développé un ensemble de solutions optimisées pour cette exploitation énergétique, certainement l’application des microalgues la plus ambitieuse et difficile à atteindre. Le verrou aujourd’hui est la production solaire à très grande échelle. Il faut des volumes de production très importants dans les biocarburants.
Toutes citations : Jeremy Pruvost, directeur du laboratoire Gepea - Nantes Université.