« Exosomes. Des biothérapies d’avenir », Pharmaceutiques n°284, février 2021.

Encore à des stades précoces de développement, les exosomes offrent un réservoir de promesses dans le domaine du diagnostic, des vecteurs thérapeutiques et de la médecine régénérative. Les big pharma commencent à s’y intéresser.

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Exosomes. Des biothérapies d’avenir.

Encore à des stades précoces de développement, les exosomes offrent un réservoir de promesses dans le domaine du diagnostic, des vecteurs thérapeutiques et de la médecine régénérative. Les big pharma commencent à s’y intéresser.

D’abord considérée comme un processus d’élimination des déchets par la cellule, la sécrétion d’exosomes est dorénavant analysée pour son rôle majeur dans les communications intercellulaires. Ces petites vésicules membranaires, de quelques dizaines de nanomètres, dérivées de la plupart des types de cellules, pourraient constituer des vecteurs pour le transfert de protéines, de lipides et d’acides nucléiques. Une communauté scientifique se fédère autour du sujet depuis deux décennies et les publications vont croissant. Les exosomes démontrent leur efficacité dans des modèles in vitro très variés.

Les applications sont nombreuses : du diagnostic pour découvrir des marqueurs sanguins précoces d’Alzheimer, de Parkinson ou de cancers par exemple, au vecteur thérapeutique par la délivrance de médicaments dans l’organisme, en passant par la médecine régénérative où les vésicules dérivées de cellules souches mésenchymateuses posséderaient les mêmes propriétés immunomodulatrices.

Manuel Vega, fondateur et directeur général d’AGS Therapeutics, biotech française créée il y a moins d’un an dans le but d’exploiter le potentiel des vésicules extracellulaires (EVs) produites par des microalgues, témoigne de la quantité d’acteurs dans le monde sur le sujet des EVs, des nombreuses variantes technologiques et de la maturation en cours du secteur.

Ces vésicules suscitent depuis peu un intérêt considérable dans le domaine de la délivrance de médicaments, parce qu’elles peuvent cibler des types cellulaires et des tissus spécifiques et surmonter certaines barrières biologiques, notamment hémato-encéphalique (BHE). Un espoir dans certains cancers et maladies neurologiques.

Plusieurs big pharma examinent les opportunités. Ainsi, en mars 2020, le groupe japonais Takeda a signé un accord avec la biotech britannique Evox Therapeutics pour le développement d’exosomes dans les maladies rares pour un montant pouvant atteindre 882 M$. Trois mois après, Evox signait avec Eli Lilly en neurologie. Montant : jusqu’à 1,2 milliard de dollars, en fonction des étapes atteintes.

« Ce sont des montants très significatifs pour des molécules à un stade préclinique, commente Marie-Hélène Leopold, directrice market analysis & intelligence chez AGS Therapeutics. Pour Juan Pablo Vega, directeur de la stratégie de la société de conseil et d’accompagnement Markets & Listing, il faut investir dès maintenant dans le secteur d’AGS Therapeutics car « aujourd’hui se joue notre souveraineté sanitaire de demain ».

Premières preuves de concept 

En France, les annonces au sujet des exosomes se multiplient, à l’image du très récent soutien de Sanofi, dans le cadre du programme “iTech Awards 2020”, à la biotech Ciloa, spin-off du CNRS et de l’université de Montpellier créée en 2011, et qui fait figure de pionnière de l’édition in vivo d’exosomes « sur mesure ». Un soutien qui apporte de la visibilité à la start-up et au domaine. Ciloa bénéficiera ainsi d’un financement et d’un accompagnement scientifique initial d’un an. La biotech entend étudier l’introduction de molécules thérapeutiques dans ces exosomes pour diverses applications en cancérologie, dans les maladies rares, les maladies cardiaques et neurologiques ou le diabète. Cette technologie unique ouvre également la voie à un nouveau type de vaccin, fondé sur la capacité des exosomes à imiter un virus et ne nécessitant pas d’injecter de matériel viral aux patients, ni d’adjuvant. « Notre candidat-vaccin le plus récent, contre le Covid-19, a démontré des résultats précliniques particulièrement prometteurs, notamment des réponses immunitaires menant à la production d’anticorps neutralisants et de cellules T », se réjouit Robert Mamoun, cofondateur et dg de Ciloa, ancien directeur de recherche à l’Inserm. Pour lui, cette technologie apportera une protection à plus long terme et plus forte contre les différents variants. Son développement a été soutenu par la région Occitanie et Bpifrance.

Si encore aucun essai clinique avec des EVs n’a été mené chez l’Homme, les preuves précliniques s’accumulent. La biotech Evora Biosciences, issue du laboratoire Matières et systèmes complexes du CNRS, a été fondée en mars 2020 pour avancer sur une première application thérapeutique, la fistule digestive. « Nous anticipons une levée de fonds dans les prochains mois et une entrée en clinique début 2023 sur cette première indication », prévoit Hadrien Lanvin, cofondateur et président.

Vers une filière de production

« Depuis deux ans les big pharma s’intéressent à nous pour nos vecteurs thérapeutiques à des stades précoces, et la question de l’industrialisation du procédé se pose », observe Robert Mamoun, qui a annoncé fin 2020 l’investissement dans un outil de production et de purification d’exosomes en propre. Les difficultés de production des EVs à haut rendement et à large échelle, de manière reproductible, et compatible avec les exigences règlementaires, freinent encore leur utilisation clinique. « Notre objectif est de démontrer la faisabilité chez l’Homme pour des lots de molécules de grade GMP de phase I, avant de passer la main à un éventuel partenaire », décrit le dirigeant. L’entrée en clinique est estimée à fin 2022-début 2023.

Une filière émerge, avec la création de la plateforme IVETh (plateforme d’expertise technologique de production, d’ingénierie, et de caractérisation des EVs pour des thérapies personnalisées) du CNRS/université de Paris et la naissance de la société EVerZom. Depuis septembre 2019, celle-ci, également issue du laboratoire Matières et systèmes complexes du CNRS, vise la mise en place d’un procédé fiable de production à partir de tout type de cellules.

« Notre technologie brevetée permet de produire dix fois plus de matériel que les méthodes traditionnelles, en dix fois moins de temps avec une efficacité thérapeutique similaire grâce à un stress mécanique, indique Nicolas Rousseau, COO d’EVerZom. Notre objectif est de produire à façon pour accélérer le développement des biotech et big pharma dans le domaine, avec l’ambition de devenir le “CellForCure des exosomes”. Le scale-up s’accompagne des outils de purification nécessaires et nous anticipons la possibilité de produire des lots à l’échelle de la phase I d’ici la fin de l’année, poursuit-il. Des discussions sont en cours avec le centre Meary de thérapie cellulaire et génique (AP-HP), intégrateur du Grand défi Biomédicaments de la région parisienne, pour un transfert de la technologie, avant de lancer notre propre outil sur le sol français à l’horizon 2024. » La start-up travaille avec une dizaine de biotech dans le monde dont plusieurs françaises, notamment Evora qui en recevra les premiers lots cliniques. Fin 2020, EVerZom a levé 1,1 M€ et dispose ainsi de dix-huit mois de visibilité financière.

Une usine naturelle

La jeune pousse AGS Therapeutics mise quant à elle sur une technologie de production à partir de microalgues. « Ces dernières réalisent en interne la production de l’agent thérapeutique (les siRNA spécifiques contre les pathogènes d’intérêt), la production des EVs, l’encapsulation des siRNA et le relargage des EVs dans le milieu de culture, détaille Juan Pablo Vega, qui travaille au développement d’une usine modulaire, la plateforme de production AGS Manufacturing, une future filiale d’AGS Therapeutics. C’est une véritable usine biologique à elle seule. » Au-delà de la grande simplicité inhérente à la production des EVs des microalgues, il y a la simplicité dans la génération, par génie génétique à façon, de lignées cellulaires stables, productrices du contenu génétique.

Par ailleurs, « étant donné que les microalgues ne portent pas de pathogène potentiel pour l’homme, l’aspect “sécurité” est sans doute un argument de poids du point de vue règlementaire», soutient Manuel Vega. La société cible prioritairement le champ des anti-infectieux, avec notamment un candidat contre le virus SARS-CoV-2, et anticipe une entrée potentielle en clinique début 2023. La plateforme AGS Manufacturing fédère plusieurs acteurs de la région Pays de la Loire, où il existe déjà un pôle d’excellence sur les microalgues – AlgoSolis à Saint-Nazaire, plateforme de production à grande échelle et de valorisation des microalgues dans différents secteurs – ainsi que le laboratoire de recherche GEPEA (unité mixte de recherche de l’université de Nantes et du CNRS). AGS Manufacturing bénéficie aussi du savoir-faire et de l’expertise de Brochier Technologies, expert dans le développement de photo-bioréacteurs à haute performance. « La temporalité dans le développement de la plateforme AGS Manufacturing se fera en fonction de l’avancement des projets d’AGS Therapeutics mais l’outil s’ouvrira rapidement à d’autres collaborations », précise Juan Pablo Vega.

Une filière se met en place, une histoire se construit. 

Juliette Badina